Des Cendres, et des tentatives d'épuisement graphique


J'aurais voulu me promener dans cette arrière-cour, quelque part aux Pays Bas, aller caresser l'écorce de l'arbre là-bas au fond, juste pour vérifier qu'il existe, ou entendre les cris ou le chant de ces mendiants estropiés, mais rien ne fit: j'étais toujours dehors et le bruit était celui des visiteurs du Louvre, ou même des gardiens des salles. Plus je regarde (un tableau), moins j'en voit (net).
Les variations graphiques que j'ai fait autour des Mendiants de Bruegel, en dessin, en gravure, en collage, sont autant des tentatives de pénétrer ce tableau, d'en saisir quelque chose, l'histoire qu'il raconte ou bien celle qu'il cache.

"Certains interprètes de bonne renommée veulent reconnaître dans ce tableau cinq ou six pendus redescendus de la potence, libres à nouveau de se déplacer sur de la terre battue, au nom de je ne sais quelle remise de peine – contents d’être en vie, on peut le supposer, et prêts à supporter le fardeau des rescapés. Ils avaient fait des razzias deux semaines plus tôt, ils avaient embroché des prêtres et violé des nonnes, tant bien que mal, faisant de ces cliquetis incompatibles avec l’amour, incompatibles avec l’héroïsme crapuleux du violeur ; puis s’en étaient allés avec des brioches sous le bras, des calices d’or, un portrait du Seigneur, un de plus, par Petrus Christus. On les a rattrapés à la sortie de la ville : un seul filet avait suffit, ils gigotaient tous dans la nasse, convaincus alors d’une seule chose, ces innocents, une seule, sur le moment : il faut s’entretuer pour s’en sortir vivant. "
Pierre Senges, Cendres des hommes et des bulletins, Le Tripode, 2016.


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